L’Arrêté CAT NAT DU 22 AVRIL 2014

Les 1er et 2 février 2014, le littoral nord-ouest était gravement frappé par un évènement météorologique d’une très grande violence qui provoqua des désordres très importants sur la commune de Locquirec et en particulier sur le site du Moulin de la Rive.

 

Cet évènement est identifié sous le nom de TEMPÊTE SANS NOM 1.

 

A la suite de cet évènement exceptionnel la commune de Locquirec déposa une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle au titre des inondations et chocs mécaniques liés à l’action des vagues notamment pour la période du 1er au 2 février 2014.

 

C’est dans ce contexte et contre toute attente que fut rendue la décision attaquée refusant de reconnaître l’état de catastrophe naturelle sur la base des rapports d’expertise suivants :

 

  • Météo France du 14 février 2014
  • Centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) en date du 17 février 2014
  • Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) du 14 février 2014.

 

Au motif qu’en l’espèce les valeurs des éléments météorologiques et océanographiques tel que le vent, la surcote et la hauteur des vagues auraient présenté une durée de retour inférieure à 10 ans.

 

En retenant comme critère d’appréciation que l’intensité anormale de l’agent naturel est avérée lorsque l’occurrence statistique du phénomène « durée de retour » est supérieure ou égale à 10 ans ;

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En application des dispositions de l’Article L125-1 du Code des Assurances repris par l’article 2 de l’arrêté attaqué :

Les contrats d’assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l’Etat et garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l’assuré contre les effets des catastrophes naturelles, dont ceux des affaissements de terrain dus à des cavités souterraines et à des marnières sur les biens faisant l’objet de tels contrats.

 

De surcroît, l’article L125-4 du Code des Assurances dispose que :

Nonobstant toute disposition contraire, la garantie visée par l’article L. 125-1 du présent code inclut le remboursement du coût des études géotechniques rendues préalablement nécessaires pour la remise en état des constructions affectées par les effets d’une catastrophe naturelle.

Les particuliers victimes de dommages ont donc intérêt à agir pour obtenir l’annulation de la décision de non reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle  afin de leur ouvrir le droit à l’indemnisation de leur préjudice auprès de leurs compagnies d’assurances respectives.

 

Le régime juridique applicable

 

Au visa des dispositions de l’article L125-1, 4 ème alinéa du Code des Assurances

L’état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s’est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, la décision des ministres.

Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l’Etat dans le département, assortie d’une motivation.

L’arrêté doit être publié au Journal officiel dans un délai de trois mois à compter du dépôt des demandes à la Préfecture.

 

Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises.

Ces dispositions sont elles-mêmes reprises par les articles 1 et 2 de l’arrêté attaqué.

Enfin l’article 3 de cette même décision prévoit qu’une franchise modulée en fonction du nombre de constatation de l’état de catastrophe naturelle intervenues pour le même risque au cours des cinq années précédant la date de signature du présent arrêté, dans les communes qui ne sont pas dotées d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles pour le risque concerné.

JO du 26-04-14

Arrêté du 22 avril 2014

 

La procédure de reconnaissance

 

La procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est régie par la circulaire N°84-90 du 27 mars 1984, elle-même infiniment critiquable dès lors qu’elle créa une commission interministérielle, non prévue par le législateur, pour apprécier le caractère anormal de l’évènement.

 

Chargée d’instruire de façon non contradictoire les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle sur la base des rapports d’expertises qui lui sont soumis, la commission rend ainsi un simple avis ne constituant pas une décision faisant grief.

 

En tout état de cause, l’arrêté interministériel doit être motivé sur la base des éléments recueillis et examinés par cette commission interministérielle dont la création et le fonctionnement sont pour le moins controversés.

 

Le motif de la non reconnaissance

 

Le critère illégal et infondé du délai de retour de 10 ans

Comme précédemment rappelé, l’Arrêté de classement prévoit en son article 3 qu’une franchise est applicable en fonction du nombre de constatations de l’état de catastrophe naturelle intervenues pour le même risque, au cours des cinq dernières années.

 

Il résulte de ces dispositions que seul le quantum de l’indemnisation est affecté par cette condition et ce, de façon limitée, dans les cinq années qui précédent l’évènement.

 

Il est dès lors constant que le caractère anormal de l’évènement ne saurait être apprécié au regard d’un délai d’occurrence d’un évènement précèdent  et encore moins d’un délai de retour de 10 ans.

 

En tout état de cause et de surcroît, selon Météo France :

 

« La durée de retour d’un événement extrême est l’intervalle de temps moyens séparant 2 réalisations de cet événement. C’est un concept similaire à celui de la fréquence, à ceci près que dans le cas d’une fréquence, on traite l’échantillon global des valeurs observées pour un paramètre donné alors que dans le cas des durées de retour ce sont les seules valeurs extrêmes observées pour ce paramètre qui nous intéressent.

 

La rareté des données traitées, combinée au fait que les séries de mesures ne sont pas toujours très longues, fait que les échantillons sont généralement ténus. Cela nous oblige à mettre en œuvre des lois statistiques adaptées à la modélisation de tels événements de façon à extrapoler au mieux leur comportement dans le temps.

 

Parmi les échantillons traités, il arrive que l’on rencontre des événements exceptionnels, très éloignés des autres événements déjà observés, dont il est difficile d’apprécier finement la durée de retour compte tenu des incertitudes des méthodes statistiques. ».

 

 Extrait du site Météo France Phénomènes extrêmes et durée de retour

 

En d’autres termes, la Loi statistique du délai de retour est utilisée par les institutions scientifiques pour apprécier les délais d’occurrence des phénomènes extrêmes sinon exceptionnels.

 

Or le législateur n’a aucunement retenu ce critère d’exception, motivant la décision attaquée mais celui d’évènement anormal par son intensité.

 

Si le délai de retour de 10 ans peut en effet avoir une signification scientifique pour apprécier le caractère extrême d’un évènement, en revanche il ne peut certainement pas être retenu pour apprécier le caractère anormal de l’évènement tel que prévu par l’article L 125-1 du Code des Assurances.

 

La Loi ne visant pas les seuls cas extrêmes mais les évènements anormaux, c’est donc par une interprétation particulièrement restrictive et donc abusive de la Loi dans le cadre d’une procédure elle-même sujette aux plus vives critiques que la motivation ici contestée a pu être retenue à tort.

Il est dès lors également démontré que le postulat arbitrairement posé selon lequel l’intensité anormale de l’évènement est avérée lorsque l’occurrence statistique du phénomène « durée de retour » est supérieure ou égale à 10 ans est erroné.

 

En l’espèce il est dès lors constant que la décision de non classement de la tempête sans nom 1 des 1er et 2 février 2014 repose sur le postulat erroné que l’intensité anormale de l’agent naturel est avérée lorsque l’occurrence statistique du phénomène « durée de retour » est supérieure ou égal à 10 ans.

 

Cette interprétation est en effet manifestement contraire aux dispositions de l’article L 125-1 du Code des Assurances mais également à l’article 3 de l’arrêté interministériel attaqué qui prévoit expressément une occurrence de moins de 5 ans.

Cet arrêté doit donc être annulé de ce chef pour erreur manifeste d’appréciation.

 

Le caractère anormal de l’intensité de l’évènement

 

En l’espèce, la décision attaquée apparaît avoir été rendue au visa de trois rapports d’expertises qui a priori ne sont pas accessibles au public.

Il s’agit des rapports :

  • du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) du 14 février 2014
  • du centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) en date du 17 février 2014
  • de Météo France du 14 février 2014

 

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Rapports CATNAT SHO, CEREMA et METEO FRANCE

 

Le rapport SHOM du 14 février 2014

 

Le rapport SHOM repose sur les mesures des hauteurs et surcote de la mer.

Ces mesures furent relevées par le marégraphe implanté dans le port de Roscoff depuis 2004.

 

Ce rapport précise :

« A Roscoff le maximum observé le 01/02/2014, correspond d’après les données de statistiques de niveaux marins extrêmes à notre disposition, à un niveau marin de période de retour inférieur à 5 ans »

 

Bien qu’il s’agisse de phénomènes extrêmes, il ne s’agit donc pas d’une période de retour de référence de 10 ans comme retenu à tort par la décision attaquée.

De surcroît,  ce même rapport précise expressément que :

  • L’acquisition des mesures de hauteur d’eau par les marégraphes      filtre les effets de la houle. Or pour les sites côtiers, la plupart      des submersions marines sont liées à la conjonction d’une forte marée      associée à une forte houle, ce dernier paramètre pouvant être déterminant  pour ce type d’évènement.

 

  • L’augmentation du  niveau de la mer due au déferlement des vagues n’est généralement pas mesurée par les marégraphes, le déferlement     n’ayant pas toujours lieu au niveau de l’entrée des ports ; Cette  augmentation peut parfois atteindre 1 à 2 mètres à la côte.

 

Cette analyse est par ailleurs corroborée par un second rapport accessible librement sur internet lequel évoque la caractérisation de 7 évènements de tempête de l’automne hiver 2013-2014.

 

Parmi ces évènements figure la tempête sans nom 1 des 1er et 2 février 2014.

Ce rapport précise également :

« Les hauteurs d’eau analysées ne prennent pas en compte l’influence de la houle et des vagues.

En situation de tempête, la houle générée par les vents a un impact parfois très violent sur le littoral.

Au niveau des observatoires, les marégraphes filtrent tout ou partie des effets de la houle. »

 

En d’autres termes les données recueillies par ces instruments sont inexploitables au regard de l’évènement subi du fait du choc mécanique de la mer provoqué principalement par la houle.

Le rapport du SHOM ne peut donc être retenu en l’espèce pour apprécier le caractère anormal de l’évènement ici évoqué.

Extraits du rapport SHOM sur

La caractérisation de 7 évènements de tempête de l’automne hiver 2013-2014

 

 

Le rapport CEREMA du 14 février 2014

 

Le CEREMA est le centre d’Etude et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement.

 

CANDHIS désigne à la fois le réseau national côtier de mesures in situ de houle, le site internet et la base de données archivant les mesures.

 

Le CEREMA est le gestionnaire du réseau CANDHIS et il est le seul organisme habilité à répondre aux demandes d’avis des préfectures sur la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle concernant les états de la mer.

 

Ce rapport  repose sur des mesures de la houle en pleine mer et non sur la côte.

 

En l’espèce sans qu’il soit nécessaire de le commenter plus amplement, ce rapport conclut :

« Nous ne disposons pas d’élément concernant les communes de Roscoff et Locquirec »

 

Le rapport Météo France du 14 février 2014

 

Interrogé, Météo France répondait le 16 mai 2014 :

 

« Nous ne pouvons pas fournir les rapports de catastrophes naturelles qui sont à l’usage exclusif de la commission et des préfectures.

Dans certains cas, les mairies peuvent en obtenir une copie ce qui est le cas pour cet évènement. La mairie de Locquirec dispose de la copie du rapport de Météo-France et je crois qu’un recours a déjà été déposé.

Mais je puis vous apporter quelques explications concernant le refus de reconnaissance pour cet évènement.

Le refus par la commission n’a pas été motivé par le rapport de Météo-France mais semble-t-il par le rapport du CETMEF (http://www.cetmef.developpement-durable.gouv.fr/).

En effet le rapport du CETMEF ne se base que sur la houle mesurée en mer et celle-ci pour cet évènement a une durée de retour inférieure à 10 ans. »

 

Or il vient d’être vu que le CEREMA (ancien CETMEF) ne disposait d’aucune donnée pour Locquirec …..

 

METEO FRANCE poursuit :

« Le rapport de Météo-France conclut bien à un évènement exceptionnel à la côte car il prend en compte la concomitance des trois phénomènes : vent fort et forte houle avec un fort coefficient au moment de la pleine mer. C’est cette concomitance qui est exceptionnelle et qui rend cet évènement exceptionnel.  »

 

Le refus classement rendu par la commission n’a donc pu être motivé par le rapport du CETMEF (CEREMA) qui ne disposait pas d’élément concernant Locquirec et par conséquent la conditon du délai de retour supérieur ou égal à 10 ans ne pouvait être retenu en condition de ce rapport inexploitable.

En revanche,

Faisant suite à cette réponse, le rapport de Météo France en date du 14 février 2014, communiqué quelques jours plus tard confirmait expressément cette réponse sans ambiguïté.

Il résulte de ce quoi précède que la preuve du caractère anormal de cet évènement est démontré par le rapport de Météo France, seul exploitable en l’espèce, retenant le caractère exceptionnel de celui-ci compte tenu d’une concomitance exceptionnelle de trois phénomènes eux-mêmes considérés comme exceptionnels.

 

Si cet évènement était exceptionnel sur la côte selon Météo France, a fortiori, son intensité était manifestement anormale.

C’est donc bien à tort également que l’arrêté non seulement semble s’être fondé sur un rapport du SHOM non significatif et inexploitable au regard de l’évènement mais écarta de façon beaucoup plus préjudiciable le rapport de Météo France.

 

Cette analyse scientifique de Météo France est par ailleurs largement corroborée par les témoignages visuels et photographiques nombreux rapportés abondamment par la presse.

Les dégâts occasionnés sur la faune et la flore en particulier marine sont par ailleurs avérés de façon très significative.

C’est ainsi que de nombreux oiseaux de mer, surpris par la violence anormale des éléments périrent d’épuisement et que des champs de laminaires furent littéralement labourés par la violence des vagues et de la houle.

 

Compte tenu des éléments de preuve ainsi rapportés et notamment du rapport de Météo France dont la méconnaissance au regard de la particularité de l’évènement litigieux relève pour le moins de l’erreur manifeste d’interprétation, cette décision doit également être annulée de ce chef.

 

Conclusion

Il serait sans aucun doute beaucoup plus sage que l’Etat n’attende pas cette annulation et prenne l’initiative en urgence de rapporter  purement et simplement cette décision inique pour éviter que sa responsbailité ne soit ultérieurement recherchée s’agissant notamment de l’aggravation des préjudices subis.

Une initiative est prise en ce sens auprès des responsables politiques et du gouvernement.

 

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